La recette du poireau au sable

La recette du poireau au sable.

Je roule en moto depuis 1972. Pour dire que j'aime assez ça. Qu'importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse : je n'ai pas été un grand consommateur de bécanes, parce que je les ai toujours choisi avec soin. Trail, trial, enduro, route, elles ont correspondu à ce que j'attendais d'elles, à un instant T.

En Septembre 2005, j'ai un Yam TW 200. Dans le garage. Au quotidien je roule Transalp, mais la petite Yam est là. Comme si elle attendait... Elle date de 1994 : j'avais craqué pour sa bouille de bouledogue, gros pneus selle basse et, je suis un peu comme ça, parce qu'on n'en voyait nulle part...


Ça freine mal, c'est poussif, c'est trop petit pour ma taille, mais c'est avec ce truc que j'ai parcouru les dunes de Libye en 98.

(http://onamarchsurladune.blogspot.com/)

Et depuis, on s'aime vraiment... Impossible de m'en séparer, problème de cœur.
Et puis, un jour, peut-être, à nouveau...

Septembre 2005, je suis retraité, donc libre de mon temps.
Septembre 2005, je n'ai pas oublié les dunes.
Septembre 2005, petit coup du destin, et c'est ainsi que débute l'histoire du poireau au sable.

Définitions :
- poireau : débutant naïf
- sable : objet semi fluide tapissant certain déserts

C’est l’histoire d’un poireau dans le sable : la moto et le désert. Je suis monté sur la première et parti avec dans le second... Mais la pétoire n'était pas vraiment faite pour ça.

Alors voici le récit de cette aventure.



Septembre 2005

-Tu as toujours ta petite moto ?
- Euh ? Oui.
- J’ai besoin d’un petit truc comme ça pour aller bosser, tu me la vends ?
- Euh ? Oui.
- Combien tu la vends ?
- Euh ? Oui.

La bécane est dans mon garage depuis au moins sept ans. Un Yam TW 200, c'est le truc invendable parce que si tu as le permis moto, tu vas pas te traîner sur une brêle de nain qui plafonne à 110.

- Alors, tu la vends combien ?
- Euh, je sais pas ce que ça vaut, je regarderai sur internet pour me faire une idée.
Quelques jours plus tard je rentre “ TW 200” dans un moteur de recherche, sans savoir que ce petit clic va me mener très loin…

Je tombe d’abord sur un site de fondus qui vénèrent cette bécane à cause de ses énormes pneus. J’apprend qu’il s’en est vendu 68 en France et que la bête est rare. Puis, de site en site, je tombe sur Sud Expé qui propose un raid “ Passion Désert” pour une somme abordable. Il y a quelques photos avec du sable, et la seule chose importante que je retiens c’est qu’il faudra une autonomie de deux cents kilomètres : j’en conclu hâtivement que les étapes feront au maximum deux cents bornes. Gros naïf….
Bon, je m’inscris sans chercher plus loin. Et le Michel se trouvera autre chose pour aller bosser...


C’est le début de l’aventure, c’est à dire un truc qui te fait vibrer, te réveille la nuit, et dont tu te souviens toute ta vie.

C’est parti.
Étape 1 : je sors l’engin du garage, tâte les pneus, change la batterie, remets une bougie, nettoie le carbu, et une légère pression sur le petit bouton rouge déclenche un pompompom sympathique et joyeux.

Étape 2 : je lis la notice de Sud Expé, fixe deux bidons de vélo sur la bécane, pour avoir de l'eau, un jerrican sur le porte bagage, pour avoir du carburant, et le beau compteur de mon VTT rouge sur le guidon, pour mesurer les kilomètres parcourus et remettre à zéro par rapport à un truc qui s'appelle le road book ; et que si tu peux pas faire ça tes os vont se dessécher dans le désert…
Étape 3 : un GPS d’occas sur internet et un morceau de tôle pour le fixer au guidon.
Roule ma poule…



Mars 2006, le poireau rejoint le bateau. La vraie réalité réelle va bientôt lui péter au nez…

Découvrir l'ampleur de l'erreur18 mars
Rendez-vous neuf heures à la gare maritime de Marseille, près du camion Tatra.
Déjà ce truc est impressionnant pour le poireau que je suis : je n’en ai jamais vu qu’à la télé sur des rallyes médiatisés. Ambiance course.
Je débarque mon TW du fourgon sous les regards goguenards de quelques concurrents qui ont déjà compris que ma mobylette n’était pas le truc idéal pour ce que nous allons vivre, mais personne ne se permet la moindre réflexion, n’insinuant aucun doute dans mon esprit naïf...


Pourtant la vue des autres bécanes aurait dû me mettre la puce à l’oreille : du beau matériel bien préparé avec les supports de GPS Hi-Tech et les dérouleurs de road-book à injection directe.
Je fais la connaissance de Patrice, lui aussi seul, et de Bertin, belle gueule et voix longuement travaillée à l’alcool et à la clope.... Ambiance cool et patiente .

Embarquement sans problème mais le bateau dégage une forte odeur de vomi, m’incitant à adopter la position allongée, bourré de petits cachets bleus pour la durée du voyage. Dommage car le premier briefing, très important, se déroule pendant la traversée et fourmille d’informations qui me manqueront cruellement par la suite. Philippe, mon voisin de cabine, me fera cependant un petit compte rendu succinct, mais comme je suis un peu dans le potage, il n’en restera pas grand chose…

Dimanche 19 mars
Vingt trois heures plus tard nous sommes à Tunis, où les douaniers sont égaux à eux mêmes : bordel organisé, casquettes plates à foison, queues diverses et variées devant des guichets habités d’êtres sérieux, redoutables et flegmatiques.
C’est un peu la Pologne : on voit une queue, on s’y installe sans savoir ce qui se passe au bout, mais comme il faudra toutes les faire pourquoi ne pas attendre ici...

Sortis de la douane il faut trouver le car qui nous transportera à Matmata. Il est rose, vieux et bientôt plein ; nous voici donc partis pour quatre cent cinquante kilomètres, qui passeront assez rapidement, agrémentés par les commentaires du chauffeur au français impeccable, et la plongée dans la Tunisie toujours aussi changeante : le nord avec ses mômes en mini-jupes, l’autoroute européenne.
Puis les moutons au bord de l’autoroute, les moutons sur l’autoroute, les gens qui traversent les voies, les ânes qui traversent aussi ; bref, le passage progressif de l’ordinaire à l’extraordinaire...


Hôtel quatre étoiles, à la tunisienne : décors luxueux, personnel pléthorique et efficace, mais entretien négligé, prises électriques qui pendent, miroirs rafistolés et éclairage de guingois... L’architecture reprend le principe, traditionnel à Matmata, de l’habitation troglodyte, mais ça sent un peu le tourisme de masse et le car de blaireaux. Buffet à volonté et bonne surprise : c’est bon et les gens du groupe se comportent de fort belle façon, ne remplissant pas pour jeter ensuite, et restant discrets et courtois.

Lundi 20 mars
Première étape, 137 kilomètres. Je ne sais toujours pas me servir du GPS, et je dois improviser un lecteur de road-book avec la pochette plastique contenant ma serviette de toilette.
A partir de cet instant, je suis parti pour trois jours de charrette non stop, j’aurais toujours un wagon de retard sur le train des événements...

Dans l’ordre : un kilomètre repère est tracé sur la route pour étalonner les compteurs, et je parcours, seul déjà, cinq kilomètres avant de me dire que j’ai dû le louper un peu au départ... Il commençait effectivement bien avant mais je me l’étais imaginé en rouge alors qu’il est seulement marqué d’un scotch gris, le lâche...

Premier départ et déjà à la traîne, parce que le sac contenant mes fringues a explosé et qu’il a fallu le rafistoler avec des sangles...
Devant moi a démarré un super Mitsubishi, V6, bruit d’enfer, les noms et groupes sanguins des pilote et copilote sur la portière, les sponsors qui le font bien, bref le truc de super pros. Je décide de suivre les super pros, on peut faire confiance à des gens ainsi équipés n’est-ce pas ?
Nous nous retrouvons perdus dans la pampa en moins de dix minutes, ce qui doit quand même constituer une sorte de record !
Première leçon : ne suivre personne, même pas les pros....


Il paraît qu’existe un appareil appelé trip master permettant de mettre d’une main son kilométrage à zéro : en ce qui me concerne j’ai le compteur emprunté à mon VTT, qui nécessite de s’arrêter, de quitter les gants et d’appuyer sur les deux boutons en même temps, ce qui ne fait pas vraiment gagner, du temps....
Je vais donc gaillardement effectuer mon étape, stoppant en moyenne tous les kilomètres, revenant en arrière une bonne dizaine de fois pour vérifier une intersection du road book, et rebondissant tel la gazelle par la grâce de pneus hyper trop gonflés ...


A force de “ je m’y mets” , “ là j’ me bourre” et autres “ là, c’est mort” , j’arrive, ratatiné, pour apprendre que le lendemain c’est près de 300 kilomètres qu’il faudra parcourir : gloups. On m'aurait menti ?
Ben non mon gars, fallait lire la notice et faire marcher le cerveau en même temps : deux cents kilomètres d'autonomie, ça veut dire que tu vides le réservoir, tu remplis… et tu repars…
Mais bon, nous sommes à Ksar Ghilane, il y a des chameaux et des tentes, c’est une oasis et je suis heureux. Tout le monde est là depuis des heures, a fait le plein pour le lendemain, préparé ses affaires et se balade touriste en sirotant des trucs en boîtes.


Comme je suis chaud et qu’un super crack du Dakar propose ses conseils de pilotage dans les dunes, je me dirige vers la leçon. Lentement. Parce que le sable est mou et me prend ma roue avant pour la transporter là où ça fait peur. Bref, je suis un gros nul et ça se voit.


Mais bon, j’apprends, et quand le super crack m’a fait dégonfler les pneus, les choses vont beaucoup mieux et je constate que ma mob est à l’aise dans ces conditions, ce qui est une bonne nouvelle.
A forcer de m’exciter j’en ramasse quelques bonnes et décide sagement de ne pas me massacrer direct le premier jour : je rentre au camp, chaud bouillant.

Installation sous tente avec Philippe et quelques quadreux des Vosges, chassés d’une tente voisine par les remugles d’un gars qui a perdu sa savonnette depuis le début du siècle….


Ensuite, faire le plein : ah, ben c’est trop tard mon gars, la pompe est fermée.
Un nommé José, que je n’hésite pas à dénoncer, me propose, ça partait d’un bon sentiment, de me dépanner en essence... José transporte l’essence pour les hélicos d’assistance...
Le plein fait, je m’offre une douche et un rasage, ce qui, sous ces latitudes me paraît un grand luxe. Parfumé et pomponné, je vais régler la pression des pneus au camion d’assistance : TW refuse de démarrer !
Comme il y a de l’étincelle et de l’essence c’est que le carbu prend ses aises : hop, j’ouvre la trousse à outils de l’engin, ben oui je n’ai que ça, et je démonte le fautif pour le nettoyer. Trois heures plus tard j’y suis encore, pas mangé, énervé, couvert d’essence, et cette saloperie refuse toujours de démarrer. Plein de gentils ont essayé de m’aider, et ont finalement renoncé devant l’obstination de la bête.
Marre, fait nuit, moral dans les chaussettes, je me jette dans le duvet et les vapeur d’essence.

Le temps retrouvé.
A la recherche du temps perdu, perdu dans la mécanique, mécanique morale en rade, rade puis radieux : des hauts et des bas, l'aventure quoi !

Mardi 21 mars

Pas dormi !!! Impossible, le cerveau n’arrivait pas à débrancher. Au matin j’ai l’impression de sortir d’une machine à laver, essorage à 1200 tours.
Il est cinq heures, tout le monde dort, je redémonte le carbu pour la nième fois, souffle dans le moindre trou du bazar, remonte, redémonte.

Pendant que le camp se réveille, se lève, se lave et déjeune.
Les mains dans le cambouis, un stock de pièces étalé autour de soi, entendre les autres se préparer, démarrer et se casser est une dure épreuve.
J'ai commencé dans un silence de première aube, j'ai vu des ombres mal réveillées partir se restaurer, se laver, j'ai entendu les premières bécanes démarrer, le boucan d'enfer du troupeau prenant la piste, puis le dernier partir ; et le silence et le soleil m'ont trouvé bien désespéré devant mon tas de tôle obstinément muet...

Lueur d’espoir, les organisateurs, Christian Big Boss en tête, cherchent à m’aider, on refait les mêmes gestes pour la centième fois, quand un lumineux cerveau se rend compte que cette essence est un peu grasse... Bingo : mon ami José s’est fait refiler de l’essence coupée au gas oil, et m’en a fait profiter....

Leçon : si ça marche pas, tu commences par le début : qualité de la sauce.


A dix heures je démarre enfin, suivant un 4X4 de l’assistance chargé de porter la bouffe aux hélicos. Le gars roule pourtant tranquille, mais je suis quinze bornes au dessus de mon niveau et épuisé au bout de deux heures à ce rythme.

Lorsque j’arrive au CP 2, il est déjà très tard et je sens bien que personne n’a envie de suivre le poireau pendant les cent bornes qui restent. La TW est embarquée dans un pick-up et le poireau dans un HDJ rondement mené par un nommé Jean Claude : grande chance car le reste de cette étape n’est qu’un longue piste à camions rectiligne et ondulée, pas vraiment le genre à se régaler avec les 18 CV de ma meule.


Tiaret, tout le monde à monté sa tente, sauf Philippe qui avait lui aussi décidé de dormir à la belle. Mais la perspective de rouler mon beau duvet dans le sable ne m’enchante pas trop et les bâtiments, pour peu qu’on ne soit pas bégueule, peuvent nous abriter pour la nuit puisqu’il y a des lits.


Tiaret est un ancien camps d'exploitation pétrolière, c‘est le genre trois têtes de mort dans le guide Michelin, tout est abandonné depuis longtemps et recouvert d’une pellicule de sable de trois centimètres, le lavabo se vide sur les pieds de l’utilisateur et la douche, outre le fait que les robinets sont totalement bloqués, abrite une sympathique colonie de blattes et scorpions dont la taille permet d'envisager d’y tailler des steaks...


Mais en retournant le matelas on obtient une jolie chambrette à l’abri du froid du matin. Lorsque j’explique notre installation, j’apprends que le truc serait en réalité destiné à la location, au tarif exorbitant de 30 dinars la nuit : vrai ou blague, je ne le saurais sans doute jamais…
Le soir tombe, apéro et repas avec tables, bancs, toiles, cacahuètes et cornichons ; super organisation, et coucouche cabane….

Mercredi 22 mars

Tu voulais du sable, en voilà.


Superbe étape et magnifique journée. De la dune comme dans mes rêves et moi dessus comme dans un film. Je suis venu pour ça et c’est le grand bonheur : la TW est royale sur ce terrain, va où je veux dans un pompompom sympathique et lénifiant.


Ce sont ensuite de grandes plaines désertiques et fleuries ; bien ouvrir les yeux et les narines pour profiter.

Une source.
Rien avant, rien après, et une source. D’eau chaude et ferrugineuse, capté par un gros tuyaux de fonte mal jointé : j’ai l’impression d’être le seul à trouver ça totalement magique ; mon étonnement semble étonner… Sans doute des habitués… Ce doit être mon côté écolo qui m’incline à observer la nature comme une perpétuelle source d’émerveillement.


Je sais enfin utiliser le GPS, grâce à la leçon de super papy Jean Claude qui m’a très pédagogiquement expliqué la chose malgré son accent anglais douteux : j’ai longtemps cherché la mystérieuse touche "en terre" pour valider mes choix…
"enter"…
J’aurais dû être plus attentif, parce qu’il a certainement dit, super papy, que si le nombre de points est trop important, on crée une nouvelle route pour la suite de l'étape. Après une bonne heure à tourner en rond, quelques jurons bien épais à destination de ce p…. de b…. de m… de s… de c… de GPS de m… qui me ramène toujours au même endroit, ce petit détail me revient en mémoire.

Leçon : écouter c’est bien, noter c’est mieux, surtout si on a une mémoire limitée…
Enlever un peu le casque, laisser refroidir : tous ces trucs qui serrent la tête, casques, képis, ça doit finir par empêcher le cerveau de se développer…


Maintenant, seul, au milieu de nulle part, avec mon fidèle mulet et la petite aiguille du compas qui me guide dans ce paysage extraordinaire, je sais déjà que je reviendrai…

Plus loin, rencontre avec Bertin et un fondu en quad. Le Bertin, genre baba cool taillé dans le Larzac massif a abandonné road book et GPS sans doute pour se libérer l’esprit... Bertin c'est celui qui travaille sa voix de crooner à l'alcool et aux clopes, ça ne lui travaille d'ailleurs pas que çà... Et dedans il y a un coeur, énorme.


Heureux homme, il suit le nommé Bruno. Et ce dernier suit… son instinct, et n’hésite pas à zapper un point ou deux s’il estime que c'est mieux, l'instinct quoi...

Oubliant la leçon numéro un, je me retrouve avec les deux zozos tout au bout du bout du bout d’un plateau, où la seule issue est une jolie falaise à la verticalité peu engageante.

Nouvelle leçon, ne pas mollir et assumer. Après la descente, ou plutôt la dégringolade, nous attaquons un champs de pierres dont la plus petite à la taille d’une tête humaine.. Ben oui, l‘instinct…

Je me sépare des deux compères avant de totalement ruiner ma bécane, aux suspensions peu adaptées à l’entreprise.

Plus tard, le road book indiquera par des points d’exclamations une vue exceptionnelle : pile poil sur le point je scrute un bon moment, un peu perplexe, les alentours : rien de vraiment terrible. Ce n’est que le soir que j’apprendrai qu’il ne fallait pas regarder autour mais dessous ...puisque nous étions sur un gisement de roses des sables… Gros nul.
Retrouvailles avec Tiaret, son hôtel trois têtes de mort et la chaude ambiance de ce groupe que je commence à intégrer. Il y même une femme et une tireuse à bière... Sacrée organisation !


Après trois jours de galère totale et de course frénétique, le temps m’appartient à nouveau pour profiter de choses normales comme discuter, blaguer, s’occuper de soi et aller vers les autres.



Dur dur, mais beau beau.
Jeudi 23 mars

Aujourd’hui, remontée vers le camps de Ksar, grosse et longue étape.
J’ai voulu feinter en essayant de partir avant tout le monde. Mauvaise pioche : j’ai roulé tranquille un quart d’heure, jusqu’à ce que les premiers me rattrapent…
Comme ils avionnaient environ quarante bornes plus vite que moi, j’ai dû laisser passer le troupeau. Qui soulevait une poussière d’enfer et m’envoyait plein de cailloux parce que des bécanes bourrées de chevaux ça fait tourner très vite la roue arrière…
Avec mon casque jet j’ai vite compris que si un des pavés se présentait devant mon menton ou mes dents, ça allait faire toute une histoire avec le comique qui nous sert de médecin… En plus, sans lunettes, c’est conjonctivite assurée.

C’est vrai que niveau équipement je suis aussi poireau que pour le reste : des bottes et un jean en bas, une veste et un casque de route en haut ; c’est gamelle interdite et cocotte minute garantie.
Déjà le premier jour le médecin m’avait détaillé en silence de bas en haut et parlé de morceaux de jean extraits de la viande à la pince… Sympa le boucher…
Dunes, désert fleuri et oasis se succèdent, pur bonheur des yeux et de l'esprit.


La piste court sur un pipe line pour le côté aventure, recouvert de sable hyper mou et bosselé pour le côté pratique.


C’est beau, long, et fatiguant. Soudain, magie : sur le pipe line une station de dégazage, qui permet, comme son nom l’indique, de faire tomber la pression dans le tube. Tu fais sortir le gaz, ensuite une allumette et hop, pendant la vie du pipe tu fais le chalumeau.
A cet instant je découvre, sous un vent d’enfer, une torchère constituée d'un énorme tube dégueulant son gaz dans un immense cratère avec un boucan apocalyptique, et, à côté, une source d’eau chaude : Bir Ezzobas. Renseignement pris, ces sources sont des forages pétroliers qui ont foiré : pas de bol, on n'a pas trouvé de pétrole, juste de l'eau en plein désert...
Rencontre entre la folie de l’homme et celle de la nature.
Terre feu eau et vent, réunion dantesque des éléments, pour signifier à l’homme sa réelle condition : petite crotte. Nouvelle leçon.




La fatigue accumulée ces derniers jours et la piste très usante me rincent rapidement. Piste ? Je me contente de suivre le tuyau tantôt affleurant, disparaissant parfois sous le sable : imagine rouler sur un gros tube PVC sur lequel le sable glisse si bien…
Décision est prise de faire une pause photo lorsque le besoin s’en fait sentir. Je dois être bien cuit parce qu’à un moment je ne sais même plus quoi photographier tellement je m'arrête…


Ayant navigué la journée sans embûches, rôdé aux secrets du GPS (eh, le changement de route, je l’ai vu…), mais ayant quand même ramé gravement avec tous ces arrêts, je me fais un coucher de soleil sur le désert. C’est superbe, mais aussi superbement angoissant quand tu vois l’immensité se réduire au petit faisceau éclairé par ton phare anémique.

Ici, petit commentaire technique sur l’éclairage d’une moto : le phare est monté en haut de la fourche, et la fourche s’écrase ou se détend selon que tu freines ou que tu accélères. Sur route goudronnée c’est un peu chaud sur les entrées de virage : tu freines, la fourche plonge, et le phare éclaire le garde boue avant, que tu n’avais d’ailleurs jamais pensé à observer, et pas le virage dans lequel tu te précipites pourtant… Sueur.
En sortie de virage, si tu as survécu, tu remets la sauce et cet enfoiré de phare se met à éclairer le sommet des arbres et pas le goudron que s’apprête pourtant à traverser un sanglier de 120 kg … Sueur, bon pour la douche en arrivant.

Ces bases techniques étant posées, on revient dans le désert.
Pas de goudron, tu vas me dire que si tu te bourres le sable est plus doux, mais je sens bien que tu te moques.
Bon, je fais court : en bas des dunes, tes rétines font péter les paupières autour pour s’écarquiller un peu plus et tenter de deviner dans quoi tu vas te planter, et en haut tes yeux quittent leurs orbites pour aller voir ce qui se passe sous la roue avant qui va plonger dans le noir. Fatigant et un peu stressant…

Une bonne heure plus tard, je devine Ksar Ghilane, au loin, à ses quelques lumières, mais impossible de trouver la trace qui y mène. Je suis maintenant au milieu d'une pampa d'arbustes plantés au sommet de tas de sable entre lesquels il faut sans arrêt slalomer.
Soudain ne voiture, là-bas, sûrement un des nôtres ; que je rejoins tant bien que mal : en fait c’est une bétaillère à touristes qui leur offre émotions fortes et aventure en cahotant sur la piste la plus défoncée du coin pour rentrer à l’hôtel.

Pas glorieux de rentrer derrière ce truc quand on est un aventurier…

Le repas du soir fut très calme. Il faut préciser qu’il fut précédé d’un briefing un peu spécial, commençant par :
- demain c’est l’étape la plus dure de ce raid.
Murmures dans l’assistance.

- vérification des fusées de détresse et des couvertures de survie au départ.
Bruits de déglutition dans l’assistance.

- première fusée de détresse à 19h30, seconde à 20h dernière à 20h30.
Petite odeur de sueur dans l’assistance qui s'imagine bien coincée dans le désert avec la nuit qui vient…

- je passe la parole à l’équipe médicale .
Grand silence dans l’assistance.

Manquait plus que l’assureur et le croque mort…

Les conversations reprennent lentement, mais le sujet est unique :
- t’y vas toi ?

Quelques-uns se dégonflent et se sentent bien une petite journée de repos… En ce qui me concerne, un reste de lucidité devrait me faire renoncer, mais les hormones mâles court-circuitent souvent le cerveau et je partirai donc le lendemain.



Vendredi 24 mars

Il y a des journée qui commencent mal : la direction de la TW est grippée. De gros points durs rendent la conduite fatigante et dangereuse. Un peu de dégrippant la veille au soir a un peu amélioré les choses mais le problème persiste. Peut être serait-il raisonnable de renoncer pour réparer ?

Petit commentaire médical : la testostérone est une hormone mâle puissante qui participe grandement au fait qu’un individu apparemment normal n’a parfois pas assez de sang pour irriguer à la fois son appareil sexuel et son cerveau…

Je desserre donc la direction pour lui donner un peu de jeu et je pars. Et je reviens. Pour desserrer encore. Et je pars. Etc… Quatre fois.
Finalement je roulerai avec un jeu énorme mais je crois que j’aurais pu porter la bécane sur le dos parce que de toute façon c’était d.é.c.i.d.é : cette étape je la fais.

Il est 8h30, tout le monde est parti devant et je me rassure : tu as survécu jusque là, tu as fait des progrès, tu es habitué aux efforts longs, il ne risque pas de pleuvoir, etc.…

T’en voulais vraiment du sable ? En voilà encore.
Là c’est la moto en trois dimensions. La TW est vraiment le truc idéal pour ce genre de parcours. Bien posé sur l’arrière de la selle, j’enchaîne les dunes avec un formidable plaisir.


Pas longtemps hélas : la direction recommence à durcir. Pile l’instant où j’ai besoin d’un pince multiple pour la desserrer à nouveau, arrive un Patrol plein de jolies femmes et de deux gars sympas qui me prêtent l’indispensable outil. Rappelons que nous sommes au milieu des dunes, en plein désert, et que, statistiquement, leur présence ici était impossible. Mais, la statistique permet seulement aux experts d‘expliquer le lendemain ce qu’ils estimaient impossible la veille …

Ce numéro 60, vient donc de me sauver la mise. Nouveau départ, nouvelle galère ; l’état de la direction empire et n’offre plus que trois positions : tout droit, à droite toute ou à gauche toute. Le plaisir décroît et la fatigue augmente…

Je finis par rallier le CP2, mais je ne repartirai pas, direction totalement bloquée et deux bosses douloureuses à la place des épaules.
Autre bonne nouvelle, mon sac à dos s’est ouvert et j’ai perdu son contenu, papiers, passeport, carte bancaire et pognon du voyage… Bingo !

Le moral rejoint immédiatement les chaussettes et prend même leur odeur…

Jean Brucy,c'est lui le pro du Dakar, s’apitoie et se propose de remonter ma route en la suivant sur mon GPS. L'idée paraît utopique, mais vu l’envergure du bonhomme j’accepte volontiers sa proposition. Hélas, il nous rejoindra un peu plus tard, la mission étant réellement impossible.

Mais la journée n’est pas fini. TW est chargée sur le pick-up de Jean Michel et nous repartons pour finir l’étape en compagnie de l’équipe médicale, Hervé et Babette. Oui, le fouilleur de plaies !


Les dunes sont de plus en plus grosses, le sable de plus en plus mou, et je suis bluffé par la performance de ces pachydermes, les 4X4, mais aussi par celle des pilotes.
Nous installons une autre moto en rade sur le vaillant pick-up et attaquons la dernière partie. Plantages, remorquages, pelletages, bref, journée physique...


Je suis assez fier d'avoir trouvé une solution pour déplanter le Toyota médical coincé entre deux dunes : tout le monde s'accordait à dire que c'était mission impossible de le sortir avec un petit L200 : Mc Giver on m'appelle désormais…

La radio de bord annonce les diverses péripéties des autres équipages et il faut finalement se rendre à l’évidence : impossible de sortir des dunes ce soir, bivouac.


Invité, je profite du champagne et autres délicatesses que ces gourmands cachaient dans leurs soutes. Soirée cool, feu de bois, et petits instants subtils où chacun se livre une peu..


Nuit courte et fraîche dans le véhicule d’Hervé, reprise des hostilités à cinq heures.


Fin des dunes au grand soulagement de tout le monde, puis retour à Ksar.
Mes accompagnateurs, bien qu’ils n’en aient aucune envie, devront reprendre la piste pour Star War, étape suivante. C’est à cet endroit que furent tournées quelques scène du film.

Quant à moi, je retrouve Philippe, compagnon de bateau et de chambrée, qui a lui aussi passé la nuit, avec ses sauveteurs, dans les dunes, après une panne d’embrayage.
Il est midi, nous prenons donc une journée de repos forcé, et nous sommes déjà le …

Repos forcé

Samedi 25 mars

Le troupeau est parti se faire le Chott El Djérid, un truc tout plat et plein de sel, curieux. TW y avait posé ses pneus en remontant de Lybie et en gardait un souvenir disons, cuisant.

Le Chott El Djérid est une immense étendue de saumure, traversée de quelques pistes stables. Comme c’est moitié flotte et moitié sel, on obtient une pâte ressemblant à de la neige fondue et qui se comporte comme : glissant à souhait. Comme un gros malin je m’étais fait de monstrueux travers sur cette quasi patinoire, effectuant de grande courbes en total contrebraquage avec l’impression d’être un as du pilotage, mais à trente à l’heure…

Attention, âmes sensibles s'abstenir, images de 1998, pas de numérique...


En sortant du terrain de jeu TW était maculée de sel, qui commença alors patiemment à ronger la peinture.


Le temps que je m’en aperçoive elle avait déjà bien pelé…

Donc le troupeau est parti et dormira à Star War, déjà évoqué ci-avant, ceux qui ne suivent pas régulièrement sont largués, c’est la punition.
Tout le monde reviendra donc à Ksar Ghilane demain soir, ce qui me fait l’après midi plus la journée de demain de repos. Yes !

Donc, après midi réparations.
Du bonhomme d’abord ; douche, rasage, parfum.

Puis de la moto.


Bonne nouvelle après démontage de la colonne de direction, pas de billes ni de cuvettes cassées, il suffit de bien nettoyer et de remonter proprement à la graisse. Evidemment, démonter de minuscules billes de direction dans un coin tapissé de sable demande des précautions et une grande concentration.
Rien que d’imaginer les jurons qui vont fuser si jamais tout tombe par terre, tu n’as pas envie de te louper…

Facile de trouver de la graisse à Ksar Ghilane : il suffit d'aller à la centrale thermique et de rencontrer un de ces êtres incroyables qui vivent, mangent et dorment à côté du monstre mécanique chargé de fournir l'électricité de l'oasis. Une immense centrale au fioul, tournant jour et nuit et objet de toutes les attentions de son personnel servant, dévoué corps et âme au monstre. Des êtres couverts de graisse, imbibé de l’odeur du fioul, les tympans bousillés par l’incessant vacarme ; mangeant, dormant, vivant, respirant, pensant pour la bête. Et souriants, fiers, quasi sacerdotiques dans leur dévouement.

Un bon coup de blues m’envahit devant ces conditions d’un autre âge, c’est Zola aujourd’hui, et il est bon d’avoir sa petite piqure de rappel de temps à autre, confits que nous sommes dans notre confort d’occidentaux.

Vu que je suis à poil au niveau financier, je remercierai d’un tee-shirt marqué « triathlon », et quand j’explique au gars ce que c’est, il me regarde longuement, et je ne sais pas comment on dit « cinglé » en arabe, mais il a pas besoin de parler, j’ai compris…

Le soir, TW est en pleine forme, réparée, révisée et pomponnée, prête pour de nouvelles aventures. J'ai enfin le temps d'aller voir la source d'eau chaude.

Oui, à Ksar Ghilane il y a une source d’eau chaude, même provenance que celles précédemment citée, Bir Ezzobas, faut suivre.
Un truc totalement improbable, immense bassin alimenté par deux énormes tuyaux crachant de l'eau à 40° ; on se baigne en plein désert, que t'as du mal à le croire !

Dimanche 26 mars

Tout le monde étant à Star War, le camps est quasi vide.
Ambiance décontractée : calme et temps sont à notre disposition.

Le matin nous attaquons la moto de Philippe.
J’ai en tête de retourner chercher mes papiers perdus, connaissant les points GPS entre lesquels ils sont tombés. C’est dans les dunes, à une quarantaine de kilomètres du camp, et évidemment pas très prudent. Philippe s’en angoisse un peu et décide de m’accompagner si sa moto est réparée…

Pendant que nous bricolons arrive Yvan.
Yvan s’est bourré gravement le deuxième jour et ressemble depuis à un schtroumf, grâce à une jolie couleur bleue sur l’ensemble de son corps dodu.
Une dizaine de minutes dans le potage l’ayant bien calmé, il n’a pas repris la moto depuis.
Bref, notre Yvan arrive, emmitouflé dans un superbe anorak, cigarillo au bec, un peu napoléonien avec sa main glissée dans le gilet à hauteur de la poitrine pour soulager son épaule transformée en steak.
Le cigarillo bat la mesure comme le chef d’orchestre dans le staccato de la cinquième de Beethoven parce que le schtroumf a une fièvre de cheval. Il nous annonce en brouillant les mots : savapa savapa savapa !
Ben, on est pas médecins mais on avait déjà fait le diagnostic…

On empoigne notre voltigeur pour le ramener dans ses appartements, l’allonger et lui refroidir le bocal à coup de compresses humides sur le front.
Sur sa couchette, il fait des bonds de dix centimètres, respire comme Tchernobyl un 26 avril, claque des dents, (on a quand même viré le mégot), est incapable d’allonger les jambes et se plaint du froid, sous la tente qui avoisine les quarante degrés.
Je dois avouer qu’on s’angoisse un peu, à tel point que j’en suis à me remémorer mes cours de secourisme pour retrouver les bases du massage cardiaque, au cas où ; et que Philippe téléphone à l’organisation pour savoir la conduite à tenir :
Le boucher nous propose de l’achever s’il souffre trop…

Mais on n’a pas de pelle…

Une heure plus tard le vibrant Yvan s’est enfin endormi, transformé en locomotive, et sonorise totalement le camp, nous permettant de continuer notre réparation tout en ayant de ses nouvelles…

En fin de matinée, nous nous rendons à l’évidence ; le problème de Philippe ne peut se résoudre sans le matériel du camion d’assistance.

Nous décidons alors qu’un peu de douceur dans ce monde de brutes ne peut que nous bercer, et allons manger dans le superbe hôtel de l’oasis. J’ai un peu oublié que je n’ai plus un rond et Philippe doit m’ouvrir un crédit pour ce repas.
Grand moment de sérénité, l’occasion de faire plus ample connaissance, et de déguster un repas “ européen” , c’est à dire que nous mangeons crudités et bœuf avec grand plaisir après le sempiternel couscous-dinde-au-riz du camp.

L’ingestion de bœuf m’ayant sans doute titillé les hormones, je décide de partir seul rechercher ces foutus papiers que je ne peux me résoudre à abandonner.

D'abord une vingtaine de bornes de piste cassante, seul au monde dans un décor de rêve.


Rencontre avec quelques habitants.


Retour sur la route GPS de vendredi, angoisse de rouler en se disant que la chute est interdite, limite culpabilité vis à vis de l‘organisation, plaisir de retrouver ces dunes extraordinaires. Je m’étais fixé une limite qu’évidemment je dépasse.


C’est le syndrome de boucle d’or cueillant des fleurs et s’enfonçant toujours plus loin dans le bois jusqu’à se perdre. Angoisse, colère, p… de portefeuille, et si tu te bourres imbécile… Finalement mon grand âge me conseille d’abandonner : bredouille, vieillir est un naufrage.

De retour au camp mon deuil est fait : les papiers sont bel et bien perdus. Je souhaite simplement qu'un indigène les trouve, 300 roros lui feront grimper le niveau de vie...

Ce soir, Bertin-belle-gueule me prêtera généreusement de l’argent, m’évitant ainsi de me retrouver à nouveau dans une situation financière aussi délicate qu’à midi…
Ces retrouvailles du soir me rendent un peu nostalgique : chacun raconte sa journée, les paysages, les anecdotes.

Et j'ai raté çà...

Blues

Quatre degrés, 4°, le matin à Ksar Ghilane, tout le monde se pèle ; c’est ça le réchauffement climatique ? Quand on enfile les affaires, on ne sait pas si c’est mouillé ou froid…

Rituel, déjeuner, préparation, et vroom.
Superbe étape, une boucle autour de Ksar, belles pistes variées, du sable, du désert, de l’immensité, un décors de cinéma.

A la mi-journée, Douz, porte du désert, petit repas au bistrot avec les vieillards. Après un petit café, en route pour le retour sur Ksar.

Et là, le père Alain, qui a forcé sur le coca cola, nous pète son petit plomb et nous gratifie d’une heure de grand prix : cent dix cent vingt en glissade sur une grande piste sinueuse avec juste le petit cordon de sable au bord qui te permet de rester sur le circuit.
Tout le monde à toc derrière l’excité, genre dialogues du Joe Bar Team :
- Là, je m’y met !!
- Ça passe pas, ça passe pas !!
- On va tous mourir !!

Remarque : lorsque tu te retrouves dernier dans ce genre de plan, si celui qui te précède se retourne sans arrêt ce n’est pas, comme tu aurais pu l’espérer, pour prendre des nouvelles de ta santé, mais uniquement pour voir s’ils ont réussi à te semer… Ambiance de bonne camaraderie…

Oui, je sais que tout ça est d’une futilité affligeante, que c’est pas bien pour la Nature, que c’est une grande régression intellectuelle. Je sais. Mais je m’en fous, j’aime la course. En vélo, à pied, en moto ou en nageant, dès que j’en vois un devant, mon seul objectif est le mettre derrière. Sûrement un truc œdipien mal résolu ou une relation trouble avec la mère…

Retour à Ksar par une longues série de dunettes épuisantes pour les épaules.

Les corps fatigués, René adore : ce soir il nous fera une édifiante démonstration des ses talents de kiné, arrachant des râles de jouissance à l’un, et de lugubres craquement à l’autre. Ah oui, au fait : le René n’est absolument pas kiné ni rien de ce genre, juste maçon…

Nous avions laissé notre poireau les poches vides et bien reposé. Il reprend du service, mais aller au Nord, c'est pas trop son truc...

Lundi 27 mars

Remontée sur Matmata en passant par Douz. La chance est avec moi, c’est justement à Douz que je dois faire la déclaration de perte de mes papiers.
De superbes dunettes, les dernières, hélas, car le poireau est de plus en plus à l’aise sur ce terrain.


Les derniers contreforts du désert, la sensation de quitter un endroit qu’on aime, encore quelques images très fortes, comme ces puits, en eau ou secs, qui jalonnent la piste.




De la piste à peine tracée, envahie de dunettes, uniquement reconnaissable à l’absence de végétation.


Douz, la ville, aux portes du sable, avec les touristes juchés sur des chameaux patients, qui se font tirer le portrait sur fond de désert. Je les plains presque de ne pouvoir connaître réellement cette magie.
Au mieux ils iront se faire secouer le couenne dans des 4X4 bétaillères, avec pique-nique dans le sable.
Au pire ils ne garderont du désert que la photo sur le chameau, sans jamais voir la détresse dans ses yeux, car lui, il sait…

Autant la "garde nationale touristique" est sympa et efficace, autant la "garde nationale routière" est… déroutante…
Trois heures de l’après midi, une chaleur accablante, un militaire énorme, boudiné dans un uniforme trois tailles trop court, regarde des programmes pour enfants sur une mini télé pourrie.
Tiré à grand peine de la régression infantile que lui avait certainement conseillé son psychiatre, il m’établit en moins de deux un certificat de perte de carte grise, sans prononcer un mot, sans voir la moto, flottant doucement sur le nuage du marchant de sable et de Nounours…
Ça, c’est fait.

Douz-Matmata, cent bornes par la route, une heure : TW est vraiment en forme.
Le paysage se transforme, la végétation, encore pauvre, réapparait.
De longues vallées se forment, des villages s’y accrochent.


Beau, mais ne souffrant pas la comparaison avec là-bas, au sud, le sable, les dunes, le vent, l’immensité superbe à force de dénuement.
Blues, la gorge un peu trop étroite, genre départ sur quai de gare ou aéroport, pour ceux qui connaissent…

Installé à l’hôtel j’appelle le consulat : il faudra se présenter mercredi à 8h30 avec deux témoins, pour obtenir une autorisation de rentrer en France et l’affaire doit se faire en une vingtaine de minutes. Le moral est au beau fixe.

Mardi 28 mars

Départ de la dernière étape, direction Kairouan.


Longue étape, mais les dunes sont derrière nous...
Jolies pistes et superbes passages, grosse partie de road book, avec lequel je ne suis toujours pas plus à l’aise ; donc navigation aléatoire, chaotique, voire lamentable…
Petits ronds dans la pampa, repérage sur les autres concurrents, tours, détours, contours ; bref : minable.

Encore de l’extraordinaire, comme ces usines à eau chaude. Quèsaco ?
Ici la flotte jaillit tellement chaude du sous-sol qu’il faut la faire monter en haut de tours de refroidissement pour pouvoir l’utiliser.


La nature se paie notre tête…

Point positif, je roule au même rythme que tout le monde, si si si, enfumant même les quads vosgiens grâce à une recherche aérodynamique poussée mais que certains jaloux qualifieront de comique, parlant de crapaud sur une boîte d’allumette …
Je m’offre aussi un petit intérieur sur un KTM, mais le gars affirme qu’il dormait d’une main en fumant un clop de l’autre… Vexant…

A force de faire le malin j’explose finalement le guide chaîne ce qui aura pour conséquence le saut de celle-ci un peu plus tard, me contraignant à une réparation dans la plus pure tradition africaine : un marteau et un clou.
Mais la chaîne a trop perdu de maillons et se retrouve tellement tendue que je renonce à poursuivre, craignant de bousiller le roulement de sortie de boîte.


Ces cinq heures d’attente en plein soleil - je dois rester sur ce point stratégique où passera le pick up de ramassage - me permettront de mesurer le dénuement de ces villageois déambulant en charentaises éculées, et leur connaissance du français infiniment supérieure à ma nullité en arabe.


Je suis bien sûr déçu de ne pouvoir mener TW au bout, mais les routes goudronnée constituant la fin du parcours, je me dis que c’est plutôt une chance que de les éviter. Le retour avec Billy est un vrai plaisir, bien calé dans un siège confortable tandis que d’autres se tannent le derrière sur des bécanes pas faites pour ça…

Le soir, remise des prix très chaleureuse, chacun, partagé entre le désir de rentrer et le regret de la fin de l’aventure, voulant profiter au maximum de cette dernière soirée. Tous ces gens forment un groupe, uni autour d'une passion, que l'on peut décliner selon les termes, désert, voyage, moto, aventure, copains, partir...
Mais après ces deux semaines, le lien est là, le groupe existe, est riche de sa diversité.

Une micro société qui peut faire rêver. On voit ceux qui ont les moyens, ceux qui ne les ont pas, mais cette différence n'est pas un clivage. Dépouillés des oripeaux dont la société l’affuble, l’homme grandit, il vit quelque chose avec les autres et peut exister sans s’opposer…
Bon à savoir…

Demain,on prend le bateau. Enfin, on devrait prendre le bateau...
Voilà, dernier épisode de la recette du poireau au sable.
Moins de photos et plus bavard, mais l'Afrique ça se raconte aussi...

Fallait bien que ça finisse...
Mercredi 29 mars

Départ à six heures avec mes deux témoins et le pilote de l’armée tunisienne qui veillait au bon déroulement du vol de nos hélicos. Il s’est proposé de nous accompagner, subodorant certainement que les choses ne seraient pas aussi simples que dans le plan…

Mes accompagnateurs ne semblent pas trop pressés ni inquiets, mais l’embarquement est à onze heures et je flippe un peu de faire rater le bateau au groupe.

De panne d’essence imminente en pause café longuette, de vélo non éclairé évité de justesse en bouchons pour travaux, nous arrivons enfin à Tunis et trouvons sans trop de problèmes le consulat. Le temps de faire des photos d’identité et je me présente à l’entrée.

C’est là que le plan commence à foirer doucement.
L’enceinte est gardée par des super-galonnés d’une entreprise de sécurité qui ne rigolent pas avec. (la sécurité).
Mon accompagnateur doit palabrer cinq bonnes minutes pour que nous puissions franchir le sas et pénétrer dans les bureaux.

L’accueil est réfrigérant, le gars assis derrière le bureau m’annonçant carrément que je vais sûrement louper le bateau. Je lui explique que j’ai téléphoné et que blablabla. Il se contente de m’indiquer, sans un mot, un distributeur de tickets donnant accès à une salle d’attente dans laquelle légument déjà une vingtaine de personnes… C’est pas gagné !

Je reviens vers mon zig pour une nouvelle explication ; dans laquelle les mots “ le bateau part à 11 h” sont remplacés par “ je dois prendre le bateau qui part à 11h” .
- Monsieur, s’il vous plaît, prenez un ticket.

Boules. Il a exactement la tronche de pet qui va bien avec l’emploi.

Son emploi c’est jouir du petit plaisir mesquin que lui procure son autorité de sous-fifre du sous-chef du sous-attaché au sous-cabinet du quinzième sous-secrétaire de l’ambassade. J’ai déjà vu ce film ; ils sont joueurs mais craignent par dessus tout l’excité qui va leur mettre le bureau sur la tête.

Cette fois je suis de son côté du bureau, et “ je dois prendre le bateau qui part à 11h” se voit ponctué d’énormes points de suspensions signifiant que si je le prends pas y’aura des représailles sanglantes !!!

Gagné.
Je suis reçu par un décideur, qui, bien que caricaturalement fonctionnaire, petit gilet, petites lunettes, petit stylo, petits mots humoristiques sur la petite porte de la petite armoire en fer, me dépatouille le truc le plus vite possible, et me demande de faire venir mes témoins.

Je cours les chercher, pensant les trouver devant la grille. Ben non.

Regards désespérés aux alentours. Rien. Introuvables.

Une subtile réflexion me permettra de les localiser : ils ont un accent du midi à couper au couteau, il fait chaud, nous sommes en ville, donc ces inconscients sont à la terrasse du bistrot le plus proche.

Bingo, je les découvre, tranquilles, affinant leur bronzage pendant que je barbotte dans la sueur malsaine.
A voir ma tête, ils comprennent que ça urge et nous retrouvons devant grilles et cerbères en moins de trente secondes. Heureusement notre lieutenant est encore là, et en quelques minutes nous sommes devant mon fonctionnaire ; chaud bouillant d’avoir poireauté si longtemps…

S’ensuit une scène un peu surréaliste, dans laquelle deux types dont j’ai fait la connaissance hier pour l’un et ce matin pour l’autre ; viennent certifier que je suis bien moi et que y’a pas de doute là dessus…

Bref, nantis du précieux documents nous bombardons vers le ministère de l’intérieur qui doit nous le signer.
Ne trouvons personne capable de comprendre ne serait-ce que ce que nous voulons.

Faisons intervenir notre lieutenant qui, malgré sa bonne volonté et ses relations ne peut trouver un zig capable de signer ce foutu papelard…

Et il fini par nous conseiller de tailler la route vers le port ou on se démerdera ; comme d’habitude.

Nous débarquons donc extrêmement tard au pied du bateau , au grand soulagement des trois personnes qui poireautent depuis plus de deux heures et ont vu tout le convoi embarquer sans eux : Cyril,le pilote du pick up sur lequel est fixée ma moto, sa compagne, et Jean Luc, le pilote de l’autre moto chargée sur le véhicule.

Les formalités sont expédiées en un temps record, toutes les casquettes plates se foutant finalement de savoir à qui est quoi et qui est qui…
Le pick up pénètre enfin dans le bateau, nous le suivons à pied avec Jean Luc, discutant tranquillement, on va monter et on va partir et on aura plein de bons souvenirs…

Mais non.
Pris soudain d’une lumineuse inspiration, une casquette plate réclame son passeport à Jean Luc, l’ouvre consciencieusement sur une page vierge, feuillette une bonne dizaine d’autres pages, totalement vierges également, réfléchit, regarde notre ami dont les boules sont bloquées très haut sous le menton, lui adresse un regard mauvais et lui assène :
- Viens avec moi.

Le grand prix des glandes est immédiatement décerné à Jean Luc pour sa superbe prestation puisqu’elles sont maintenant remontées sous ses joues ! Il suit l’illuminé tandis que je suis refoulé dans le bateau. Y’a pas de justice !

Le vainqueur du concours sera libéré quelques minutes plus tard et ce foutu bateau partira finalement avec la troupe au complet et près de trois heures de retard….
L’afwrique , quoi…



Jeudi 30 mars

Marseille, temps blanc, moral blanc, ambiance blanche.

On se quitte, impossible de dire un mot à chacun, et pourtant...

Remercier tous ceux qui d’un mot, un geste ou un sourire m’ont encouragé.

Remercier les organisateurs qui ont géré leur poireau avec tact et efficacité.

Remercier l’assistance qui a fait que les pires situations n’étaient jamais désespérées.

Remercier tous ceux qui étaient là, dans le rêve, et resteront présent avec lui.

C’est quand le prochain ?









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Commentaires

  1. Sublime, pas d'autre mot !

    Moi qui voyais le tout-terrain dans le désert comme un sport de nantis, tueurs de gamins, je viens de me prendre une grande leçon de vie, et pour ça, pour les photos, le récit... BRAVO !

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